Si vous n'avez pas encore lu “Lignes de faille”, je préfère vous prévenir tout de suite : N'abandonnez pas le bouquin après quelques pages.

Le début reflète mal la suite du livre, et le premier quart peut être rebutant : En tous cas il l'a été pour moi. A ma première tentative, agacée par le premier personnage, j'ai relégué le livre au fin fond de mon étagère, jusqu'à ce que je le resorte un an plus tard sur les conseils d'une critique enthousiaste. Et ne pas le resortir aurait été une perte parce qu'en effet, “Lignes de faille” vaut vraiment le coup.

Le concept du livre consiste à suivre quatre générations d'une même famille, en remontant le temps, et découvrir chaque personnage (parent du personnage précédent) à ses six ans. De nos jours à la deuxième guerre mondiale, à travers les pays et les âges, ces enfants nous livrent leurs secrets et éclairent les noeuds de l'Histoire. En Allemagne, en Israel, au Canada ou aux Etats Unis, on fait des ellipses, on recolle des morceaux, on constate les parallèles et les contrastes... Presque comme des détectives, on remonte le fil du temps et on réalise que les évènements de chacun – qu'ils soient sentimentaux ou historiques – ont tous forgé les générations suivantes d'une manière ou d'une autre...

Au delà du point de vue enfantin, l'originalité de “Lignes de faille” est surement d'être ancré dans l'Histoire, et de nous faire découvrir un aspect caché (ou trop peu connu) de la deuxième guerre mondiale : On connait tous les horreurs de la guerre et les camps de concentration, mais les “fontaines de vie” - passées sous silence à la libération - restent un mystère auquel le livre nous éduque au fur et à mesure des pages.

Finalement, il ne reste que Sol, le premier personnage-enfant, qui me laisse perplexe. Sol vit dans les années 2000 et est ignoble, orgueilleux, imbuvable... A se demander pourquoi Nancy Huston a voulu à ce point forcer le trait, pourquoi elle a voulu prendre le risque de rebuter le lecteur ? Il parait que c'est caricatural et drôle, moi j'en suis restée au premier degré. Je ne trouve pas qu'à la fin du livre, son caractère soit justifié par le passé de sa famille. Je ne comprends pas non plus d'où vient la sur-protection extrême de sa mère... ni le besoin d'insérer des scènes gores du gamin devant Google. (Il y a des gamins de six ans qui font ça, vraiment ?) Choquer pour choquer, c'est un peu dommage, et la soit-disante caricature dénote par rapport au reste de l'ambiance.

“Lignes de faille” mériterait surement plus que 7 si la première partie ne plombait pas le livre (à mes yeux). Mais pour le reste, ça reste un joli roman, une belle leçon d'histoire et une oeuvre de référence.

Si l'on excepte un début malheureux, il faut admettre que Lignes de faille présente plus de qualités que de défauts et n'a sans doute pas volé son prix. La construction aurait pu être casse gueule mais le procédé est bien maitrisé et il y a un double plaisir de lecteur à voir sous un autre angle ce que l'on sait déjà comme à découvrir ce que l'on ignorait toujours. Difficile de ne pas aimer un roman où si un personnage vous agace à son entrée en scène, il ne peut que vous émouvoir dès lors qu'il s'agit de lire ses pensées.
De plus le livre est servi par un très joli style, du moins la plupart du temps car il est parfois inégal. Les histoires et les portraits gagnent en subtilité et en gravité, jusqu'à la toute fin qui ne présente certes plus beaucoup de surprises, mais n'en perd rien du choc qu'elle inflige.
Dommage que même une fois le livre refermé, impossible (pour ma part) de trouver une raison d'être à tant d'atrocité dans une première partie où montrer un enfant-roi aurait tout aussi bien illustré le propos. Reste alors un petit arrière-goût peu agréable, l'idée que Nancy Huston ait en fait cédé à la mode, surfé sur la vague en vogue (qu'on me pardonne l'allitération) de la provoc' et d'un politiquement incorrect tellement usité qu'il ne présente ni intérêt ni véritable message.
Si on a su être touché par les enfances sincères et joliment racontées de Randall, Sadie et Kristina, on lui pardonnera.