De l’amusante nouvelle de Fitzgerald, David Fincher n’a gardé presque que le principe, l’idée de départ, pour mieux tirer de cette petite fable une grande fresque cinématographique.
Du moins est-ce l’intention. Et il faut reconnaître que tous les ingrédients sont là pour faire de ce « Curious Case » ce qu’on appelle (parfois un peu vite) un « classique ».
On voyage dans le temps. On revient sur près de cent ans d’Histoire. On assiste à une histoire d’amour impossible. On admire la performance technique. On reconnaît la patte de Fincher, derrière une photo magnifique et une mise en scène très soignée.
On se demande, au bout d’un moment, quel but poursuit non pas l’histoire, mais le film.

Car l’histoire, écrite presque de toutes pièces pour le support, a des finalités assez évidentes. Le(s) message(s) ne sont certes pas surprenants (entre quête pour l’acceptation de sa propre différence et idée que chaque vie a de la valeur) mais ont le bon gout de ne jamais prendre le pas sur les personnages. Pour le contenu : Roger devient ici Thomas Button et abandonne son fils au pied d’une maison de retraite, offrant ainsi au film son meilleur décor et une galerie de personnages assez savoureux.
C’est que coté scénario, le film porte assez mal son titre, ne suivant pas tant au final l’(étrange) histoire de Benjamin mais dessinant une toile à la fois complexe et linéaire tissée par les portraits de chaque personne que croisera le héros. Et c’est sans doute là ce qui lui donne son intérêt, pour ne pas dire son souffle, le fait de traiter chaque protagoniste avec une certaine humanité, une certaine tendresse. Mais l’on finit par attendre l’histoire suivante plus qu’on ne tient à savoir comment se poursuit celle de Benjamin, et au final, l’intrigue supposée centrale, son histoire d’amour avec Daisy, est sans surprise et suit un chemin qu’elle pourrait suivre dans mille autres films.
Peu importe, presque, si l’on arrive à s’attacher aux personnages-satellites gravitant autour du couple et surtout, si l’on est réceptif à l’ambiance, magnifiquement rendue notamment dans la première moitié du film (la meilleure, sans doute). Dommage qu’elle soit hachée par les retours sur le présent et l’hôpital, parfois très agaçant et obligeant le spectateur à recommencer à chaque fois le travail d’immersion, mais ce souci de montage mis à part, on a droit à un film fascinant à sa manière, et non dénué d’humour.

Malgré toutes ces qualités, il reste à « L’étrange histoire » quelque chose qui dérange profondément, si pas au cours, du moins après le visionnage. Ce coté « mélange de tous les genres » qui semble surtout résulter d’une envie de satisfaire tous les critiques : film choral, fresque historique, et une volonté de raconter les blessures du siècle pas forcément des plus subtiles (doit-on reconnaître Katrina dans l’ouragan qui s’abat sur l’hôpital ?)…
Le film y perd son unité, ne parvient pas à se construire une identité qui lui serait propre, d’autant plus que chacun de ces procédés fait écho à un ou plusieurs autres films qui les auraient employés mieux que lui (Forrest Gump, Amélie Poulain, pour ne citer que ces deux là)

Oui, tout est là pour faire de « Benjamin Button » un classique. Ou plutôt tout a été fait pour, bien avant la finalité de raconter une étrange histoire. Reste un beau film, mais pas le chef-d’œuvre décrié par la critique, car donnant par trop l’impression d’avoir été configuré pour les Oscars. Celui du meilleur maquillage sera amplement mérité. Pour le reste, on ne niera pas le talent de Fincher, mais l’idée que tout ça fut quand même très calculé gâche un peu le plaisir.