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 The God of Small Things (Le Dieu des Petits Riens)
Auteur : Arundhati Roy
Année : 1997
Langue d'origine : anglais


9/10 (1 critique)


Histoire :
"Le dieu des petits riens" entremêle le destin de plusieurs personnages, racontant la lente déchéance d'une famille. Arundhati Roy dresse un portrait saisissant et vivant de l'Inde moderne, y dénonçant toutes les formes d'oppressions.
 
Critique par Stéphanie postée le 19-02-2010 à 16:51
Note : 9/10
Plus qu’un livre, Arundhati Roy a écrit un fleuve. Un fleuve large et épais qui charrie sur son passage les Petits Riens comme les Grandes Choses : des branches, des poissons mordilleurs d’orteils, des algues vertes et tout un tas de saletés déversées par l’Homme (système des castes, trahison, mensonge, oppression, dérives du système...) Un fleuve dramatiquement humain qui s’est d’emblée imposé comme un incontournable de la littérature contemporaine mais dans lequel j’ai eu du mal à me plonger au départ.

En effet, de digression en digression, de digression dans la digression en digression, on peut parfois attendre 70 pages pour avoir la suite d’un paragraphe, pour avoir la suite d’une scène.

L’auteur prend son temps. Avec une pointe d’ironie et de tragique que je qualifierais de style « ArundhatiRoyien » si le terme existait.

Elle s’attarde sur tous ses personnages sans exception, retraçant leur vie passée, leurs aspirations, leurs amours dans cette Inde où l’importance des castes règne, dans cette Inde où hommes et femmes sont bien loin d’être égaux, dans cette Inde où tout est humide et boueux, à la limite du pourri. Elle dresse un portrait au vitriol et toujours profondément juste des hommes, des femmes et des enfants que l'on croise dans ses pages.

Elle nous embarque dans le petit village étouffant d'Ayemenem où elle a elle-même grandi. L’environnement y est moite, chaud et l’auteur ne nous épargne rien, comme si elle tissait une toile autour du « jour où tout a basculé », une toile qui se resserrerait de plus en plus autour de ses victimes – lecteur compris. Car oui, on sait dès le début comment finit l’histoire, on devine ce qu’il s’est passé. Arundhati Roy ne s’embarrasse pas d’un faux suspense, au contraire : l’histoire commence même par la fin pour remonter le fleuve à tâtons, ou à l’inverse par à-coups.

La chronologie est cassée, balayée. Et si on se perd, on se rattache vite à une branche, pris par le courant.

On avance vers l’irrémédiable, l’inéluctable, emporté par ce fleuve en crue. Et au détour des paragraphes, entre deux phrases, Arundhati Roy fait entendre sa propre voix, ne laissant jamais la moindre possibilité d’espoir. Le tragique est là, il se nourrit de tout, est amplifié, poussé à son paroxysme, allant jusqu’à être quasi-précieux ou ridicule sous des formes de petits poèmes, de vers çà et là. Se jouant de la magie des mots et de comptines enfantines. Pom pom.

Car malgré cette violence sourde, une fois enregistré le fait qu’on a prise sur rien et qu’il faut se laisser porter, on ne peut rester insensible à la tendresse manifeste que l’auteur porte à certains de ses personnages. A Rahel, à Esthaphen. A Ammu aussi. Elle ne leur fait aucun cadeau mais les charrie avec délicatesse jusqu’au pire. Il n’y a pas de concession dans l’écriture d’Arundhati Roy, pas de possibilité de fuite, ce qui rend parfois la lecture insoutenable. Mais il y a la beauté de certaines phrases, comme un nouveau souffle, la triste vérité de paragraphes faisant écho au reste, la symbolique de certains objets, de certaines expressions… Des moments où l'imaginaire des jumeaux ressurgit.

Des instants suspendus :

"Ammu ouvrit les yeux.
Quel effort pour quitter l’étreinte du manchot et revenir à ses faux jumeaux.
« Tu faisais un cauchemar d’après-midi, l’informa sa fille.
- Ce n’était pas un cauchemar, dit Ammu. C’était un rêve.
- Estha a cru que tu allais mourir.
- Tu avais l’air si triste, dit Estha.
- Au contraire, j’étais heureuse, dit Ammu, brusquement consciente du fait que c’était vrai.
- Si on est heureux pendant un rêve, Ammu, est-ce que ça compte ? demanda Estha.
- Qu’est-ce qui compte ?
- Le bonheur en rêve, est-ce qu’il compte, comme le vrai ? »
Elle savait exactement ce qu’il voulait dire, son fils avec sa banane écrasée.
Parce que, à dire vrai, seul ce qui compte est à prendre en compte.
"

Au final, ce livre m’a parfois ennuyée, d’autres fois coupé le souffle ou donné la nausée, mais j’ai la profonde conviction que l’auteur a réussi quelque chose de hors-norme qui ne peut pas laisser indifférent, quelque chose qui, qu’on le veuille ou non, serre le cœur. Quelque chose qui correspond aux Grandes Histoires dont elle donne la définition au deux tiers du roman :

" Les Grandes Histoires sont celles que l’on a déjà entendues et que l’on aspire à réentendre. Celles dans lesquelles on peut entrer à tout moment et s’installer à son aise. Elles ne cherchent ni la mystification par le biais du suspens et de dénouements inattendus, ni la surprise de l’incongru. Elles sont aussi familières que la maison qui vous abrite. Que l’odeur d’un amant. On les écoute jusqu’au bout, alors qu’on en connaît la fin. […] Dans les Grandes Histoires, on sait d’avance qui vit, qui meurt, qui trouve l’amour et qui ne le trouve pas. Mais on ne se lasse jamais de les réentendre.
C’est là ce qui fait leur mystère, leur magie.
Pour le danseur de kathakali, ces histoires sont ses enfants et son enfance. Il a grandi avec elles. Elles sont la maison qui l’a vu croître, les prairies qui l’ont vu jouer. Ses fenêtres et sa vision du monde. Si bien que quand il raconte une histoire, il la traite comme il traiterait son enfant. La taquine. La punit. […] Il est capable de vous faire traverser l’univers en quelques minutes, mais peut passer des heures à contempler une feuille qui se fane. […] Il raconte des histoires de dieux mais son histoire sort tout droit du cœur, humain et faillible.
"

Ou plutôt elle. Elle (Arundhati Roy) raconte des histoires de dieux mais son histoire sort tout droit du cœur, humain et faillible. Il y a quelque chose de tellement sincère dans son histoire, on sent qu’elle vient de tellement loin qu’il est vraiment très difficile de ne pas en ressortir chaviré.


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